Peugeot victime d'une guerre de positions
Le rapport Sartorius ne sauvera pas l'usine d'Aulnay. Reste à sauver Peugeot et il y a tout à redouter, aujourd'hui comme hier, de l'intervention de l'État.
Il n'y avait pas de Von Clausewitz dans les effectifs de PSA Peugeot-Citroën. Sinon, cela se saurait. Dans cet art de la guerre qu'est devenue l'industrie moderne, les principales options stratégiques prises par le groupe familial ont été ratées, tout simplement parce qu'elles étaient trop politiques. En France, on traîne un reliquat de Régie du côté de Billancourt, Boulogne n'ayant pas encore totalement pris le dessus. À la Grande-Armée, proche de l'Étoile où siège PSA Peugeot-Citroën, c'est un peu la même chose. Depuis des décennies, la conduite des affaires est tenue dans le respect d'un pacte gouvernemental non écrit. Une sorte de paix sociale entretenue contre une aide très efficace du gouvernement qui manipule en permanence les règles du marché (primes, bonus-malus, taxes, prix des carburants, etc.) afin de favoriser la construction française.
L'ironie est que le choix ostensible fait tout d'abord en faveur des petites voitures, ensuite du diesel, nos "spécialités" nationales, se retourne aujourd'hui contre PSA. Pointé dans le rapport Sartorius au chapitre "manque d'ambition", ce travers à finalité protectionniste a conduit à gérer les affaires de PSA comme celles d'une épicerie, sans voir beaucoup plus loin que nos frontières. Or, la dimension de la clientèle a changé dans les années 80 et les supermarchés des constructeurs allemands ont scintillé à leurs portes.
Fatalité française
Renault a échappé en partie à cette fatalité française. Il a choisi avec beaucoup d'à propos de la part de son président de l'époque, Louis Schweitzer, de s'internationaliser dès 1999 avec l'opération Nissan, une brillante réussite stratégique. Menée tambour battant par Carlos Ghosn, qui allait succéder à Schweitzer, la bataille de Renault Nissan passait par la conquête de nouveaux territoires et des implantations industrielles diversifiées.
Il est assez piquant de voir que tout ce qui a été reproché il y a quelques mois encore par les pouvoirs publics est préconisé aujourd'hui de façon induite à PSA, resté d'une mentalité trop hexagonale. Pourtant, souvenez-vous des convocations récentes à l'Élysée de Carlos Ghosn qui se voyait reprocher la construction désormais majoritaire des Renault hors des frontières françaises. Pratiquement traité de mauvais Français, le comble avait été atteint avec l'inauguration en février dernier de l'usine marocaine de Tanger.
Féodalité industrielle
Désormais, dans les cabinets ministériels, on semble percevoir que l'industrie automobile est devenue planétaire et qu'une féodalité industrielle franco-française n'a plus aucun sens. Il y a gros à parier que le projet d'usine en Algérie de Renault dérangera beaucoup moins le gouvernement. Demain, on demandera des comptes à PSA sur le fait qu'il n'a pas implanté suffisamment d'usines en dehors de l'Europe selon une inéluctable guerre de positions qui implique d'exporter ses méthodes, et non plus ses modèles.
L'autre guerre de positions a été de camper sur un modèle de voiture européenne qui serait conforme à la mentalité française, c'est-à-dire plus petite et, il faut le dire, moins qualitative que les allemandes. À la faveur des crises successives, les stratèges français ont pensé qu'une petite voiture ferait la majorité des ventes partout sur la planète, et même en Europe où les règles de pollution sont plus faciles à satisfaire qu'avec une voiture lourde et puissante.
C'était compter sans deux facteurs essentiels. La détermination allemande n'a pas laissé le champ libre aux Français. Pas question en effet de petites voitures au centre de leur stratégie, mais seulement à la périphérie, pour embêter les Français. Le coeur du métier devait tout à un engagement déterminé en faveur des progrès technologiques et des prestations haut de gamme. Narquois, les Français ont attendu et ont vu venir des voitures toujours plus ambitieuses et éclatantes de santé technologique. Cela tombait bien, car les nouveaux marchés hors d'Europe se sont précisément ouverts à ces hauts de gamme dont ils sont friands.
L'exemple de la DS arrivé trop tard
On se souvient de l'arrêt de la chaîne 2 CV à Levallois que Citroën espérait vendre aux Chinois. Mais les Chinois capables de consommer n'eurent pas un regard et allèrent tous chez les Allemands pour commander de grandes limousines noires. La même erreur d'appréciation a été répétée ensuite avec un entêtement coupable. En lançant des voitures à forte valeur ajoutée,la gamme DS, PSA a prouvé qu'il avait compris la leçon, mais sans doute trop tard. Il serait injuste aussi de dire que PSA n'a pas engagé une politique de délocalisation en s'installant en Amérique du Sud et en Chine. Mais dans le même temps, il gonflait les capacités de production en Europe alors que, en toute logique, il fallait les réduire. Occupées à un peu plus de 61 %, les usines européennes jouent l'accordéon avec un marché local en crise. Là où les Allemands ont réussi à maintenir, grâce au haut de gamme, un plan de charge confortable de leurs usines
En vendant du "made in Germany" doré sur tranche, le "made in France" s'est trouvé progressivement dévalué par des voitures trop petites et pas assez qualitatives pour justifier des prix élevés. Et là, tous les gouvernements se sont montrés impuissants à biaiser un marché qui se fait, pour l'essentiel, hors de nos frontières. Personne n'a vu que le choix du tout diesel n'avait aucun sens hors de l'Hexagone, un type de moteur qui ne se vend ni en Asie, ni aux États-Unis. Deux marchés majeurs où nos constructeurs sont mal ou pas du tout représentés.
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