Nissan-Mitsubishi-Renault : les enjeux d’un inédit ménage à trois
15 jours de négociation!
Les Échos.
"Cette fois, c'est officiel. En incorporant Mitsubishi Motors à l'alliance Renault-Nissan, Carlos Ghosn met sur pied un ménage à trois assez inédit dans l'industrie automobile - et au-delà. La déclaration de naissance a été faite jeudi, à Tokyo, par le PDG de Renault et de Nissan, qui sera bientôt en sus président du conseil d'administration de Mitsubishi.
Charge désormais au nouveau triple-patron de refaire le coup de Nissan chez Mitsubishi : il y a quinze ans, le dirigeant était parvenu à relancer le constructeur nippon en quelques années, après avoir mis sous tension toute l'entreprise. Pour Carlos Ghosn, c'est le premier défi. Ce n'est pas le seul, puisqu'il faudra aussi faire fonctionner ensemble une entité à trois têtes, pour réussir à optimiser les bénéfices attendus de l'opération.
1. Une opération peu risquée
A peine 237 milliards de yens (2,1 milliards d'euros) pour faire main basse sur un concurrent certes en perte (240 milliards de yen attendus pour l'exercice en cours), mais qui assemble un million de véhicules à l'année, qui affichait une marge opérationnelle de 6 % il y a peu. Et qui dispose de 500 milliards de yens à la banque. Le risque financier pris par Nissan est somme toute mesuré. Sans compter que le groupe obtient en prime un droit de préemption en cas de vente d'actions Mitsubishi Motors - ce qui pourrait lui permettre de monter bien au-delà de 34 % (sa part actuelle), dans le capital de son nouveau partenaire.
Quinze jours de négo, c'est du jamais vu dans l'auto.
Clairement, l'opération revêt donc des airs de joli coup pour Nissan. D'autant que, concernant les pertes, on peut « imaginer que l'on ait chargé la barque pour nettoyer les comptes avant l'opération », souffle Gaëtan Toulemonde, analyste à la Deutsche Bank. Si Nissan a pu faire cette affaire, c'est que Carlos Ghosn et son état-major ont été rapides, très rapides : les discussions n'ont duré qu'environ deux semaines... « Quinze jours de négo, c'est du jamais vu dans l'auto », pointe un ancien dirigeant du secteur.
A vrai dire, l'associé nippon de Renault a également profité de la fâcheuse posture dans laquelle se trouve Mitsubishi Motors depuis avril dernier, et la découverte d'un scandale de falsification des données : le sixième constructeur japonais communiquait depuis 1991 de mauvais chiffres aux autorités, minimisant ainsi la consommation de ses véhicules de 5 à 10 %. Une pratique mise au jour par les ingénieurs de Nissan, qui s'est ensuite proposé d'aider son partenaire industriel un mois plus tard... en prenant le contrôle.
2. A la recherche de l'effet taille
A eux trois, les nouveaux constructeurs associés usinent près de 10 millions de véhicules à l'année, pas loin de Toyota et Volkswagen. La place de numéro un mondial « n'était pas la priorité », répète Carlos Ghosn, mais tout de même... Pour négocier les prix auprès de fournisseurs qui ont le vent en poupe, c'est toujours bon. Pour répartir l'effort de recherche et développement aussi : moteurs thermiques plus sobres et moins polluants, propulsions hybrides et électriques, voitures autonomes et connectées... Le champ d'investissement est sans fin.
« Les constructeurs de petite et moyenne taille se demandent comment faire pour acquérir toutes les nouvelles technologies. C'est normal : ils savent qu'il leur est impossible de le faire seul », expliquait Carlos Ghosn au printemps dernier. L'arrivée de Nissan était la « seule voie » pour que Mitsubishi « survive aux rapides mutations de l'automobile », confirme Osamu Masuko, le PDG du constructeur racheté.
En somme, Mitsubishi et Nissan veulent partager leurs usines, leurs plateformes et leurs dépenses R&D. Nissan fournira son expertise sur les SUV et les crossovers, Mitsubishi son savoir-faire sur les 4x4, les pick-up et les « kei-cars », les mini-voitures japonaises. Quant à sa propulsion hybride rechargeable, elle sera déployée sur les voitures de l'alliance. En tout, les deux hommes anticipent des synergies annuelles égales à 220 millions d'euros.
Au niveau commercial, les zones fortes de chacun - la Chine et les Etats-Unis pour Nissan, l'Asie du sud-est pour Mitsubishi - devraient aussi générer un certain nombre de bénéfices. A condition de réussir l'amalgame. Car l'arrivée d'un nouveau membre dans un couple ou une famille demande toujours quelques ajustements. Cela ne semble pas effrayer la pièce rapportée : « Nissan et Renault ont l'expérience d'une alliance où chaque marque est respectée », insistait Osamu Masuko, lors de l'annonce de l'opération, en mai dernier.
3. Et Renault dans tout ça ?
Carlos Ghosn le promet : « Il y aura des synergies entre Renault et Mitsubishi ». Certains anticipent déjà la fourniture de moteurs diesel du français au japonais pour l'Europe, des coopérations dans l'hybride ou l'électrique, ou encore, comme cela avait été envisagé en 2013, des productions de voitures Mitsubishi dans l'usine coréenne de Renault, à Busan - pour les exporter aux Etats-Unis. « Nous n'avons pas encore commencé à calculer les synergies avec Renault », a toutefois tempéré Carlos Ghosn.
Renault profitera indirectement de l'effet taille de l'alliance.
Les analystes, eux, misent sur la mise en commun de fournisseurs et l'avènement de plateformes communes. « Renault profitera indirectement de l'effet taille de l'alliance, qui permettra à chacun des constructeurs d'abaisser le point mort des nouveaux projets », juge Gaëtan Toulemonde, à la Deutsche Bank. Enfin, le constructeur français continuera à être alimenté par les dividendes de Nissan, qui pourraient s'accroître du fait du contrôle de Mitsubishi.
Sur le fond, l'opération reste néanmoins avant tout japonaise, entre deux groupes qui possédaient depuis longtemps des atomes crochus. Durant la conférence de presse de ce jeudi à Tokyo, le nom de Renault n'a d'ailleurs été que très rarement prononcé. Le constructeur français n'a pas été associé sur le plan capitalistique. « Le timing était trop serré. Il fallait éviter les fuites. C'était trop compliqué d'associer Renault », soutient une source proche de l'alliance. Qui rappelle que dans la prise de contrôle du russe Avtovaz, en 2014, c'est Renault qui s'est retrouvé en première ligne. Sans que Nissan n'y trouve à redire ou s'en offusque.
Côté français, la question qui émerge concerne le poids futur de Renault dans une alliance de plus en plus japonaise. Selon IHS, le constructeur français, qui était déjà minoritaire vis-à-vis de Nissan, ne pèsera plus « que » 35 % des volumes du nouvel ensemble. Nissan est-il devenu le vrai pilote de l'alliance ? Malgré sa participation de 43,4 % au capital de Nissan, Renault s'est engagé fin 2015 (à l'issue d'une sévère crise de gouvernance entre l'Etat français et Carlos Ghosn) à soutenir systématiquement les recommandations du conseil de Nissan.
Avec le dossier Mitsubishi, le constructeur japonais et son patron, qui avaient été sérieusement échaudés par l'attitude de Bercy, confirment que Nissan est une entreprise pleinement autonome de Renault. Et donc des autorités tricolores.