Quand l'Allemagne subventionne les achats de voitures
Le marché automobile allemand est resté à flot l'an dernier, alors que ceux des autres pays européens prenaient l'eau. Grâce à une petite astuce fiscale...
Alors que les marchés automobiles des différents pays d'Europe continentale ont tous dévissé l'an dernier, le marché allemand n'a enregistré qu'un très léger repli de 3 % (lire notre article). Preuve de la flamboyance persistante de l'économie allemande ? La réponse est beaucoup plus pragmatique. L'État allemand subventionne ni plus ni moins les achats de véhicules, de façon aussi discrète qu'efficace. Voici comment : les entreprises allemandes - surtout les grandes - achètent des voitures pour leurs salariés sous forme d'avantage en nature. Non seulement elles ne paient pas de taxes pour cela, contrairement à la plupart des autres pays, mais elles ne paient pas non plus de charges sociales sur cette partie du salaire. Le salarié non plus. En revanche, ce dernier va être fiscalement redevable d'une taxe, qui s'ajoute à la tranche la plus haute de sa masse imposable et qui est calculée à partir de 1 % mensuel du prix catalogue de la voiture.
Prenons un exemple : un cadre allemand atteignant la tranche maximale d'imposition (45 % outre-Rhin) fait acheter une Audi A6 diesel de 245 ch, affichée à 56 650 €, par son entreprise. Il devra acquitter pour cela une taxe mensuelle de 566,50 € (un centième du prix) x 0,45, soit : 254,92 €. Comme le souligne le magazine Automotive News Europe (ANE), c'est 465 € de moins que le prix d'un leasing tel qu'Audi le propose sur son site web. En outre, notre salarié pourra éventuellement déduire des frais professionnels, comme celui de se rendre à son bureau. Il sait également que son entreprise a acquis la voiture de ses rêves à des conditions beaucoup plus avantageuses qu'il ne l'aurait, lui, obtenue par le simple effet de volume (ce qui réduit d'autant l'impact de l'avantage en nature par rapport à son salaire). Le numéro un dans ce domaine est la Deutsche Telekom qui détient un parc de quelque 38 000 voitures, dans lesquelles, pour la plupart, roulent ses salariés.
Clairement, ce système a amorti la crise dans le secteur automobile. Alors que les achats de particuliers ont stagné en 2012 outre-Rhin, les achats "corporate" (via l'entreprise) ont atteint 32 % du total, contre 27 % en 2010, selon le KBA (Kraftfahrt-Bundesamt), l'organisme fédéral chargé de ce secteur. C'est encore plus vrai pour les marques premium : la part des achats corporate atteint 86 % ! Et il n'y a pas que les berlines statutaires : 71 % des Porsche vendues l'an dernier en Allemagne l'ont été par ce canal. C'est ce qui explique pourquoi les marques premium s'en tirent mieux que les marques généralistes nationales, Opel ou Ford. Volkswagen est un peu à part dans la mesure où le groupe compte des marques haut de gamme et parce que, en plus, tout le monde sait qu'une Golf est la cousine... germaine de l'Audi A3.
Précisons toutefois qu'une taxe annuelle est exigible pour chaque véhicule immatriculé en Allemagne basée d'une part, sur la cylindrée - 2 euros par tranche de 100 cm3 pour les moteurs essence et 9,5 euros (pas moins !) par tranche de 100 cm3 pour les diesels - et calculée, d'autre part, sur les émissions de CO2 de façon linéaire et non proportionnelle comme en France : 2 euros par gramme au-delà de 110 g (95 g en 2014).
À titre de comparaison, en France, les entreprises qui offrent une voiture à leurs salariés doivent s'acquitter d'une taxe proportionnelle aux émissions de CO2 (TVS : lire notre article) : de 2 € le gramme (jusqu'à 100 g de CO2 par kilomètre), à 27 €/g pour les voitures émettant plus de 250 grammes avec un effet de seuil au-delà de 140 g (doublement du prix du gramme de 5,5 € à 11,5 €). Très dissuasif pour le haut de gamme, surtout au-delà de 140 g alors qu'en Allemagne, il n'y a pas d'effet de seuil.
Tout ça n'est pas grave, puisqu'il est très heureux, le cadre français, d'emmener sa petite famille dans son superbe Renault Scenic 1.5 dCi ou son flamboyant Picasso HDI 110 !
lepoint.fr