Citroën achève bien les chevaux de la C6
Ils ne sont pas très sauvages mais figurent en dernier vestige du haut de gamme national. Cette sorte d'exception française disparaît corps et biens le 19 décembre.
C'est décidé, à la veille de Noël, la dernière C6 descendra de chaine à Rennes La Jannais, finissant sans gloire une carrière en demi-teinte, amorcée en 2005. Voiture très appréciée de Jacques Chirac et d'autres présidents, de société ceux-là, la C6 a inscrit dans le who's who de l'automobile une lettre et un chiffre qui brilleront pourtant longtemps dans les souvenirs des amateurs de voitures élégantes. Hors normes, la C6 l'était car son design ne renvoyait à rien de connu même si c'était, au fond, une interprétation plus moderne de la CX déjà très atypique. Ses lignes pures, son nez effilé, son profil lisse de galet et son arrière tronqué sous une vitre de custode concave lui procuraient une forte personnalité et une élégance sans pareille.
Ce dinosaure scelle la disparition du haut de gamme français où l'on comptait une élégante un peu compassée, la Peugeot 607, et une provocatrice pseudo moderniste, la Renault Vel Satis. Pas de doute, les Français ne feront jamais rien comme les autres et si cela flatte un temps l'ego des créateurs, cela torture le réalisme des financiers qui voient ces très chères créations ne pas se vendre. Mais si ce désamour du haut de gamme français finit de laminer nos dernières illusions, il faut aller en chercher les raisons bien sûr dans cette différence que l'on aime à entretenir et ce "bonjour tristesse" quand on soulève le capot.
Vouloir vendre de telles voitures, c'est avant tout comprendre qui les achète. Et en France, on a mis au centre du panel de clients, le haut fonctionnaire, le notable de province et le Pdg de la PME du coin. A aucun moment, on a imaginé séduire un bavarois rompu à la BMW ou la Mercedes ou un Berlinois adepte de l'Audi. Car tout commence par eux, qui font par effet de contagion le succès des grandes berlines allemandes hors des frontières. Celles-ci peuvent séduire la planète entière avec le goût de la chose bien faite et, une notion du luxe qui ne se contente pas d'un quatre cylindres diesel sous le capot. Les françaises sont pourtant nées avec des V6, ressentis comme des péchés de gourmandise alors que leurs puissances constituent un maximun chez nous ne sont qu'un minimum ailleurs. Partant de ce malentendu, les autres versions apparues n'ont fait que descendre les barreaux d'une échelle alors que les clients des allemandes souhaitent au contraire les gravir.
Se tromper de clientèle est une erreur de casting grave mais encore faut-il savoir si la crédibilité d'une voiture française à ce niveau est suffisante. Et la réponse est non, comme en témoigne cette pourtant superbe C6 qui n'a pas été capable d'égaler le succès de son ainée la CX et encore moins celui de la DS. Du coup, le marché du haut de gamme s'est délité et le gouvernement n'a rien fait pour le relancer. Au contraire même puisqu'une sorte de chasse aux sorcières de la voiture de taille et de standing a fini par propager l'idée que "gros, ce n'est pas bien" et a articulé autour d'elle une dispositif fiscal et réglementaire dissuasif.
Il y a des parallèles à dresser aujourd'hui entre les résultats d'un marché français souffreteux, en attente de signaux plus positifs, et une insolente santé du vaisseau germanique qui réduit à peine la voilure. Seuls les "verts" d'outre Rhin, pourtant plus actifs que les nôtres, commencent à s'agacer des performances peu taxées des grandes berlines allemandes, à la différence de ce qui se passe dans l'hexagone où la pression devient maximale, particuliers et sociétés confondus. Dès lors, comment ne pas tirer les conclusions qui s'imposent, dans un environnement hostile: la grande voiture n'a plus d'espace de vie en France. Et si un modèle ne s'impose pas sur son sol, comment peut-il partir à la conquête de nouveaux territoires à l'exportation? La C6 privée de crédibilité a ainsi subi la décélération progressive de ses ventes (530 sur les 11 premiers mois de 2012) et a été condamnée pour quelques prétextes comme les émissions polluantes ou les normes de chocs piéton.
Présentée à Genève 2005, cette belle et vaste berline était dérivée du concept Lignage, vu au Salon de Paris 1999. Présentée alors comme une exploration d'un possible futur haut de gamme des chevrons, ce projet C6 allait avancer cahin-caha et même être abandonné jusqu'à ce que Claude Satinet, le très écouté patron de l'époque, car il avait brillamment réussi sur le marché espagnol, ne le relance. J'avais, à son invitation, eu le privilège d'essayer la C6 en exclusivité pour Le Figaro et découvert une sorte de soucoupe volante très impressionnante en confort et en efficacité routière mais pêchant déjà par des moteurs trop justes. Plutôt chère, elle ne le justifiait pas vraiment en finition ou en performances.
Quant on arrive après les autres, il faut faire mieux qu'eux et la C6, excepté son originalité qui pouvait ne pas plaire à tous, faisait à peu près aussi bien que les entrées de gammes allemandes. Et le moteur le plus prestigieux fut le d'ailleurs très méritant V6 3.0 L HDI 240 ... diesel. C'est d'ailleurs le seul figurant encore au catalogue pour quelques jours au tarif de 57 450 euros en finition Exclusive et boite automatique. Ses 190 g d'émissions l'exposaient, au 1 er janvier 2013, à un malus assez dissuasif pour elle de 3 000 euros. En huit ans, ce qui est une longue carrière aujourd'hui, la C6 n'a été produite qu'au compte goutte. Une production quasi artisanale qui aurait pu en faire un argument de vente si elle avait été d'une qualité exceptionnelle.
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