Elon Musk n’est pas un industriel, mais un joueur de poker.
par Michel Holtz
Personne n’avait osé prévendre une auto qui n’existe qu’à l’état de concept-car, dont le design n’est même pas figé, l’intérieur pas décidé et l’usine d’assemblage pas achevée. Elon Musk l’a fait, empochant 325 millions d’acompte au passage. Au risque de tout perdre en cas d’échec : ses 325 000 clients et son entreprise. Petite évaluation des risques du pari le plus fou de l’histoire de l’automobile.
Empocher 325 millions de dollars en l’espace d’une semaine, c’est le fabuleux coup que vient de réussir Elon Musk. Un hold up parfaitement légal qui a permis au patron de Tesla, d’engranger 325 000 précommandes de sa futur Model 3, puisque chaque futur client a versé un acompte de 1000 dollars pour réserver la sienne. Des clients convaincus par le seul show du patron, seul sur scène, façon keynote de Steve Jobbs, et dévoilant sa futur auto à l’aube (française) du 1e avril. Cette conférence, diffusée en streaming dans le monde entier, est très certainement le live le plus rentable de l’histoire, renvoyant un concert des Stones au rang d’un spectacle de fin d’année d’une classe de maternelle grande section.
18 mois pour concevoir et fabriquer une nouvelle voiture
Mais ce succès, et ces chiffres hallucinants vantés sur le blog maison, ont enclenché un compte à rebours infernal. Car Musk va devoir tenir sa promesse, fabriquer et livrer les autos commandées et en partie payées. Une auto dont le design n’est pas totalement figé et dont l’intérieur n’est pas achevé, un an et demi avant la première livraison. Jouable, explique ce cadre responsable de projets d’un grand constructeur européen. Mais ce qui l’est moins, et ce qui ne s’est jamais vu dans cette industrie plus que centenaire, c’est de ne pas disposer, 18 mois avant la commercialisation, d’une unité de production en état de marche, dans laquelle il faut intégrer les différents process de fabrication, toujours selon ce directeur de projets. Et c’est le cas chez Tesla. L’usine de Fremont, ou sont assemblé les autres modèles ne suffira pas. Musk a inauguré l’an passé une autre unité de production aux Pays Bas, mais, pour l’instant elle est destinée à fabriquer des modèles S. Quant à la gigafactory, l’énorme site destiné à fabriquer les batteries Tesla avec Panasonic, elle n’est pas encore achevée. Pendant ce temps, le temps défile. Et pendant ce temps, Ségolène Royal fait d’hallucinantes proposition à Elon, lui offrant le site de Fessenheim en Alsace, sans se douter de la durée nécessaire à la décontamination du site, pas vraiment la même que celle qui sépare la promesse de la Tesla 3 de sa commercialisation.
Le risque de tout perdre
Mais que pourrait-il se passer si Elon Musk ne tient pas sa promesse et ne livre pas ses autos en temps et en heure ? La maison est habituée aux retards. Son modèle X en a engrangé deux ans à son compteur sans que les clients ne renâclent et elle ne devrait débarquer en Europe qu’au second semestre de cette année. Mais dans le cas de la 3, le risque est d’un autre tonneau. Parce que les futurs clients, qui ont versé 1000 dollars, ont parfaitement le droit de retirer leurs billes quant bon leur semble. Alors que Tesla compte bien sur les 325 millions de dollars ramassés ainsi pour assainir ses comptes historiquement dans le rouge et les réinvestir dans l’aventure Model 3. Mais surtout, avec cette nouvelle auto, qui devrait être vendue sous la barre des 40 000 euros (alors qu’une S d’entrée de gamme coûte 77 900 euros), l’Américain entend bien, et devrait forcément, toucher une autre clientèle, plus large, moins fortunée et, surtout, moins fan transie du gourou Musk. Une clientèle qui a besoin d’une auto, toute électrique soit elle, et qui pourrait ne pas pardonner l’entourloupe à Citizen Musk. D’autant que la concurrence va débouler au même moment. La Chevrolet Bolt, aux performances similaires sera fin prète à la même période et son usine du Michigan a déjà ses quatre murs. Évidemment, rebadgée Opel dans nos contrées, elle disposera d’une image moins glamour que Tesla. Pour le sex-appeal, en revanche, les déçus de Musk pourront compter sur la triplette allemande BMW-Audi-Mercedes qui elle aussi prépare la réplique. A la question « avez vous peur de Tesla ? », Dieter Zetsche, le boss de Mercedes interrogé ce week-end nous a simplement répondu d’un large sourire souligné par son épaisse moustache.
Au final, l’opération Tesla 3 est pour le moins risquée. C’est même la plus risquée de toute l’histoire récente de cette entreprise. Une sorte de banco ou Elon Musk pose tous ses jetons sur le tapis vert de la voiture électrique. Un pari fou dans lequel les marchés le suivent. Mais les marchés sont bien plus versatiles encore que les clients qui ont versés des acomptes.