Quand avion rime avec pollution
ENQUÊTE A travers l'Europe comme en France, dans le cadre des débats sur la future loi Mobilités, émergent des appels à interdire des vols de courte distance en avion, au profit du train. L'ambition? Alléger l'impact carbone du transport aérien.
Quand avion rime avec pollution Des députés appellent à interdire les vols intérieurs de courte distance, au profit du train.
Dans le cadre des discussions à l'Assemblée nationale sur la future loi Mobilités, plusieurs députés, dont Delphine Batho et François Ruffin, appellent à interdire les vols qui peuvent être remplacés par des trajets en train sans en allonger la durée de plus de deux heures et demie. Les signataires, François Ruffin (LFI), Dominique Potier (PS), Delphine Batho (Génération écologie), Sébastien Nadot (non inscrit), Sébastien Jumel (GDR), entre autres, rappellent que plus de 20 % du trafic aérien est national et que les dix
aéroports les plus fréquentés sont situés dans des villes desservies par le TGV. Cette proposition de loi vise à supprimer une centaine de vols chaque jour sur des lignes comme Paris-Bruxelles, Paris-Marseille, Paris-Rennes, Paris-Lyon, Paris-Bordeaux, Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Brest, Paris-Bâle-Mulhouse... Mais pas les lignes transversales ni celle entre Paris et Londres.
Le Parlement néerlandais a pour sa part réclamé début mars la suppression des vols entre Amsterdam et Bruxelles. Des vols de cinquante-cinq minutes qui peuvent être remplacés par les TGV Thalys. En Suède, la honte de voler (« flygskam ») s’impose dans le débat public. "Ce mouvement suédois marque une véritable prise de conscience des citoyens pour les enjeux environnementaux, se réjouit Karima Delli, députée européenne EELV. Le secteur aérien a un avantage déloyal par rapport aux autres modes de transport, avec une TVA réduite et un kérosène détaxé. Les États-Unis et le Japon le taxent déjà, la Belgique et les Pays-Bas le demandent. Une taxe réduirait les émissions de 12 %, soit 18 millions de tonnes de CO2. "
La croissance du transport aérien est estimée entre 4 et 5 % par an. "Au cours des cinq dernières années, les émissions de CO2 de ce secteur ont augmenté de 28 % pour les vols intra-européens, précise Lorelei Limousin, la responsable transport au sein du Réseau action climat. Entre l’absence de taxes et les aides publiques pour les aéroports et les compagnies aériennes, le manque à gagner pour l’État atteint 3,6 milliards d’euros par an."
SUPPRIMER UNE CENTAINE DE VOLS
La Suède fait figure de modèle : en un an, la taxe sur le kérosène a permis de faire baisser les vols de 4,6 %. Le transport aérien n’est pas resté les bras croisés. Les compagnies sont dans une course effrénée pour réduire leurs coûts. "Le carburant représente en moyenne 25 % du coût d’un vol, mais ce chiffre peut aller jusqu’à 35 % dans certains cas, évalue Alain Battisti, le président de la Fédération nationale de l’aviation marchande (Fnam). Il n’y a pas plus motivée qu’une compagnie aérienne pour réduire ses émissions de CO2 !"
Le transport aérien est soumis en Europe à une taxe carbone via l’achat de quotas d’émissions de CO2 pour les vols intérieurs. "Cela représentera un coût de l’ordre de 45 millions d’euros en 2020 pour Air France", souligne Laurent Timsit, le directeur des affaires internationales et institutionnelles d’Air France-KLM. À l’échelle mondiale, Corsia, le dispositif de compensation d’émissions de CO2 mis en place par l’Organisation de l’aviation civile internationale dès 2021, prévoit une neutralité des émissions d’ici à 2035, par rapport à leur niveau de 2020. Un dispositif censé couvrir entre 77 et 87 % des émissions internationales, hors liaisons intérieures. On anticipe chez Air France un coût annuel d’environ 100 millions d’euros dès 2025. Après 2035, le secteur s’est engagé à une réduction de 50 %, toujours par rapport à 2020, revenant au niveau de 2005. Pour y parvenir, le secteur aéronautique devra mettre au point des technologies de rupture.
RÉTABLIR LE FRET FERROVIAIRE
La solution la plus verte reste le train, notamment en renforçant l’offre sur les destinations assurées par des TGV, mais pas seulement. "Il faut relancer les trains de nuit", assure Karima Delli. Pas sûr que cela suffise pour convaincre les passagers qui se rendent à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle pour des vols internationaux. Si les partisans d’une limitation du nombre de vols évoquent le transport de passagers, le fret est rarement visé. Pourtant, avec la mondialisation et l’essor de l’e-commerce, la multiplication des livraisons n’est pas un bon signal pour lutter contre le réchauffement climatique. UPS s’est engagé à renouveler sa flotte avec des avions récents et moins polluants et a reporté une part du transport sur la route. "Nous travaillons au Royaume-Uni sur des semi-remorques alimentés au biogaz", explique Édouard Barreiro, le directeur des affaires publiques pour l’Europe de l’Ouest d’UPS.
Chronopost a réduit ses vols. "Nous avons supprimé les courtes distances en avion, seules celles supérieures à 700 km sont encore concernées par ce mode de transport", précise François Deutscher, le directeur du schéma industriel pour la branche courrier et colis de La Poste. Aujourd’hui, seul 1,5 % du courrier en France métropolitaine est acheminé par les airs. Et moins de 15 % des colis. Mais remplacer l’aérien par la route n’est pas la panacée. Les transporteurs regrettent l’absence d’offre ferroviaire compatible avec les besoins des chargeurs. "Nous utilisons les soutes des TGV pour quelques opérations avec Cdiscount, mais c’est marginal, explique François Deutscher. Il faudrait rétablir une voiture de fret dans les rames, mais nous ne sentons pas d’engouement."
Olivier Cognasse et Olivier James
https://www.usinenouvelle.com/article/quand-avion-rime-avec-pollution.N849895